Chapitre 1. Le nouveau meurtre
Encore une fois, les villageois discutent du nouveau meurtre d’hier soir. Un enfant a été sauvagement mutilé et s’est ensuite fait dévorer la moitié du visage.
« Encore ce putain de loup-garou ! Crie le vieux.
— Du calme Carlos, ça n’arrange rien de s’énerver ! S’exclame papa.
— Oui, Thibaut a raison, on devrait plutôt trouver une solution. Commente Josiane.
— D’accord, mais quoi ? Demande une voix.
— Il faut voir… Répond Josiane.
— Moi je pense qu’on devrait interdire aux gosses de se promener après 19 h. Ça évitera au moins des massacres comme celui d’hier. Propose papy.
— Bonne idée ! S’écrie papa.
— Mais dans ce cas-là, nous aussi on devrait rester chez nous. Enfin je veux dire, c’est mieux si personne ne meurt plutôt que de protéger que les petits, non ? Intervient Marie-Lou.
— Il n’y a plus d’idée ? demanda Martin, au bout de 5 minutes de silence. Très bien, passons au vote. Qui vote pour que juste les gosses soient interdits de sortie après 19 h ? 16 votes. Très bien. Qui vote pour que personne ne sorte après 19 h ? 34 votes. Et qui vote blanc ? Personne ? Très bien, hé bien, ça veut dire que vous devez chercher vos enfants et leur dire de rentrer, car il est 19 h passée mes amis ! ».
Je vois les adultes se presser. Puis au bout d’à peine 20 minutes, toutes les portes sont verrouillées, sauf la mienne. Mais à cause des appels inquiets de ma mère, je me précipite alors sur celle-ci.
Moi, j’adore traîner le soir. Je trouve que c’est nous priver de liberté quand on nous interdit, nous les enfants, de faire ça ou de faire si.
Même si je sais que c’est pour notre bien. On me dit souvent : « Rhô, Nino, tu es relou, tu n’es qu’un enfant, et les enfants, ça ne décide pas de tout ! »
Peut-être, mais on a quand même droit à nos libertés non ?
J’ai toujours demandé à papa de m’emmener quand il y avait une réunion. Il me disait : « Oui je t’emmènerai, mais quand tu auras dix-huit ans ou plus, comme ceux de la Réunion ! ».
Il me disait toujours soit ça, soit tout simplement « Non ».
C’est pour cela que je le suis en cachette, car, quoi que je dise, c’est toujours « Non » !
C’est pas très intéressant, mais au moins, ça permet de ne pas s’ennuyer le soir. Parce que le soir à Transisbourg, il n’y a pas grand-chose à faire, à part dormir.
Les adultes rentrent souvent entre 21 h et 22 h, au plus tard 23 h. Quand ça finit aussi tard, je n’attends pas la fin car sinon, je ne peux pas me lever le lendemain !
Tous les adultes ne partent pas à la Réunion, donc il y a Clarisse et Mathilde qui restent pour nous « surveiller ». Elles disent que c’est ennuyeux à mort les réunions. J’ai toujours demandé à ce que les deux filles ne nous gardent plus. Elles font les anges, mais en réalité, ce sont des démons ! En plus, elles n’ont jamais remarqué que je ne suis pas là le soir des réunions ! Mais ça, je ne vais pas m’en plaindre…
Maintenant que j’y pense, c’est vrai qu’il n’y a pas qu’elles qui restent, il y a aussi les personnes de plus de quatre-vingts ans. On dit qu’il faut qu’elles se reposent. Malheureusement, il n’y a pas beaucoup de personnes âgées. Car il y a dans notre village, une maladie appelée « Misas ». Elle tue en étouffant ses victimes, à savoir les octogénaires.
Nous n’avons pas encore trouvé de remède, alors on attend que la vie passe. On ne peut rien y faire.
Ce soir-là, mon père est rentré se coucher sans même me dire « bonne nuit ». Je crois qu’il est triste, car le garçon mutilé est le fils de son meilleur ami. Il s’appelait Théo. Il était très gentil mais ne plaisait pas aux filles. Cela peut sembler bizarre que je ne sois pas triste, mais je ne le connaissais pas trop. Quand quelqu’un décède, ça ne me fait pas beaucoup d’effet.
Le lendemain, de beau matin je me réveille, mon père est déjà parti sur le chantier. Ma mère me prépare une maigre tartine débordante de confiture. Elle m’annonce qu’elle doit aller travailler, car on l’a envoyée faire le ménage dans une maison à 6 km du village.
Mes parents n’ont pas un métier incroyable, nous ne sommes d’ailleurs pas riches. La principale nourriture reste la soupe et le pain.
Ma petite sœur se lève. Je lui découpe une tranche de pain dur, sans confiture, car elle n’aime pas ça. Elle engloutit la tartine, puis je lui propose de faire une balade en vélo. Elle me fait un grand oui de la tête. Je lui demande alors de se préparer. Pendant ce temps-là, je sors les vélos du petit garage. Nous les enfourchons, et nous partons à toute vitesse.
Le soleil est aveuglant. J’entends les oiseaux chanter, les criquets également. Madame Maria secoue sa nappe par la fenêtre pendant que monsieur Tare s’engueule au téléphone. Le vent frais vient sur mon visage. C’est si agréable le week-end !
Nous suivons la rue Victor Hugo, on enchaîne à droite, puis à gauche on remonte la pente pour arriver sur la place Louis Bol. Ma sœur adore grimper sur la fontaine en marbre, mais cette fois-ci, elle glisse et tombe dans l’eau. Je me suis empressé de la sortir de là. Elle dégouline d’eau glacée, des larmes coulent le long de ses joues.
Elle me crie : « Ninoooo ! Sniff, j’ai frooooooid ! Sniff ».
Je lui donne alors mon pull en laine. Trop grand pour elle, il se transforme en robe en laine.
Je la prends dans mes bras pour la calmer.
Même si j’ai très peu d’argent de poche, je lui achète une glace. « Et voilà princesse, une glace à la fraise pour toi » lui dis-je. Elle retrouve le sourire. C’est bien mieux comme ça ! Tout à coup, le temps se noircit. Nous nous pressons alors de rentrer. Une fois arrivés à la maison, le vent prend de plus en plus d’ampleur. Je commence à m’inquiéter pour mes parents. Mon père a sûrement dû quitter le chantier pour des questions de sécurité, comme ma mère avec son travail. Et pourtant, ils ne sont pas là.
Ma sœur me demande si on peut allumer notre vieille télé. Je lui dis que oui. Aux infos, ils annoncent des terribles orages avec une pluie battante. Les deux présentateurs avertissent que toute personne dehors doit trouver le toit le plus proche, de telle sorte à y loger la nuit. Les moyens de transport étant fortement déconseillés, les réfugiés ne pourront retourner chez eux une fois seulement la tempête calmée. Ils déclarent des chiffres jamais vus depuis une trentaine d’années. De possibles inondations et des risques de tornade.
Soudain, tout se coupe ! Plus de courant ! La télé a dû se prendre un coup. Nous nous retrouvons seuls, isolés du reste du monde, sans parent, avec une tempête dehors.
Chapitre 2. Qui toque à la porte ?
Je regarde l’horloge une première fois, puis une deuxième fois, puis…
Les secondes deviennent des minutes, les minutes des heures. Le temps s’est comme arrêté. J’espère que quelqu’un toque à la porte, et que ma mère entre pour nous rassurer. Mais, ça n’arrive pas. Heureusement que ma sœur me parle, sinon, je serais sûrement resté planté là, à attendre que le temps défile plus vite.
« Manon a faim, Manon a faim ! », me prévient-elle.
Manon, c’est son nom. Hé oui, elle parle d’elle à la troisième personne !
Je me dirige vers la cuisine. Il reste un peu de la soupe aux choux d’hier soir. Je la réchauffe, puis la sers dans des bols. Ce n’est pas si mauvais, sûrement parce qu’on sentait principalement le goût de l’eau.
Une fois finie, j’ai regardé une dernière fois à travers l’œil de la porte. Rien. Alors, je prépare le lit de Manon, la couche, puis fais de même.
Le bruit de la pluie est si fort que cela m’empêche de dormir pendant plusieurs heures. Quand je réussis enfin à somnoler, je parviens à entendre, malgré la pluie, quelqu’un frapper à la porte.
Je n’ai pas du tout envie de me lever, on peut appeler ça la « flemme ». Mais l’idée que ce soit mon père ou ma mère de retour prit le dessus sur ma flemmardise.
D’un pas fatigué, je me dirige vers la porte d’entrée, prêt à ouvrir. Lorsque je me rappelle que mes parents ont chacun leur clé, ils peuvent donc ouvrir la porte sans problème.
Mais alors, qui toque à la porte ?
Devant la peur ou le danger, il y a trois réactions de la part des gens. La première est celle de fuir ; la deuxième, sauver les autres avec soi ; la dernière, rester paralysé à cause de la peur. Il ne faut pas croire que ces réactions indiquent les personnalités des gens, c’est le cerveau qui décide au moment même. Bien moi, je reste paralysé au seuil de la porte.
Au bout d’un moment qui me semble une éternité, mon corps se relâche. Je réussis à me diriger, tant bien que mal, vers le judas de la porte pour y glisser un œil. Ce que je vis restera gravé dans ma mémoire à tout jamais. De l’autre côté de la porte, une bête avec des griffes aussi longues que mes bras se tient de tout son haut !
Effrayé, je monte les escaliers quatre à quatre et me précipite dans la chambre de ma petite sœur. Je la prends dans mes bras, la réveillant d’un sommeil profond. Puis me mets frénétiquement à chercher une cachette partout dans la maison. Là ! Le grand placard derrière le canapé du salon !
On se faufile dedans tous les deux. Ma sœur ouvre la bouche, mais je la lui referme. « Chut Manon ! ».
Puis au bout d’une trentaine de secondes, elle retire ma main de sa bouche pour me demander ce qu’il se passe. Je lui réponds : « Tu vois le méchant monstre qui est dans la série que tu regardes ? Il est devant la porte. Mais ne t’inquiète pas ! je suis là pour te protéger ! ».
Je ne voulais pas l’effrayer, alors j’ai inventé ce mensonge sur le moment. Les coups sur la porte d’entrée deviennent de plus en plus fort, assourdissants, à tel point que je n’entends plus que ça. Puis ils se transforment en un crissement, un bruit horrible qui perce les tympans, nous forçant à plaquer nos mains sur les oreilles. Puis soudainement, un grand bruit : la porte vient de tomber avec fracas. Le monstre pouvait maintenant entrer et se déplacer à sa guise. Je tremble de peur et ne peut m’empêcher de serrer ma sœur contre moi.
L’armoire étant abîmée, nous pouvons observer ce qui se passe à travers les trous. Mais je n’ose pas.
Je repense à la réunion de la dernière fois, où les adultes parlaient du loup-garou. Mais aussi au cours de physique, dans lequel notre professeur affirmait qu’aujourd’hui était le jour de la pleine lune. Se pourrait-il que la chose qui vient de rentrer soit le loup-garou ? Oh non, non, non, je ne veux pas terminer comme Théo !
Le plancher craque, petit à petit, lattes après lattes sous ses lourdes pattes. Puis, plus un bruit.
J’ai déjà regardé plusieurs films d’horreur et bien sûr, je sais que la bête n’est pas partie. Il ne faut absolument pas ouvrir la porte de l’armoire ! Je décide alors de regarder à travers un des trous. Il fait trop noir pour distinguer quoi que ce soit, ce qui est encore plus effrayant. J’espère que la bête ne nous trouve pas ici, mais ce qui m’embête le plus est que mes parents ne rentreront pas avant demain. Comment survivre si longtemps ? Tant de questions dans ma tête, sans réponse ! Un frisson me parcourt. Il fait si froid dehors et je suis en caleçon. Dans la précipitation, j’avais autre chose à penser que de prendre un sweat-shirt et un pantalon. Manon a de la chance, son pyjama est composé d’un chandail à manches longues Hello Kitty et d’un pantalon à fleur rose foncé.
« Il va nous manger tout cru ? », chuchote-t-elle.
Je la rassure : « Bien sûr que non, ne t’inquiète pas… ».
Au fond, je sais que j’ai peur moi aussi, mais devant une enfant de 4 ans, il ne faut pas le montrer. Brisant le silence infernal, un bruit de verre cassé nous fait sursauter. Rapidement, les éclats sonores se transforment en une fanfare d’étagère fracassées. Le loup vient de retourner la cuisine de fond en comble. Le monstre velu cherche certainement de la nourriture. Dommage pour lui, il ne trouvera ici que de la soupe du pain et de la confiture. Après de longues minutes, il arrête son cirque. Je ne sais pas si la bête sauvage sait que nous sommes là, mais elle ne semble pas nous prêter attention. Tout d’un coup, un éclair illumine la maison.
Pendant un court instant, je réussis à apercevoir le fauve. Sa gueule grande ouverte laisse paraître trois rangées de dents acérées, de ses gencives s’écoule une épaisse salive blanchâtre. Pour couronner le tout, sa longue langue pointue s’agite dans tous les sens. Malgré les mètres qui nous séparent, son haleine répugnante m’agresse les narines. Ses globes oculaires exorbités lui permettent sûrement de voir même dans l’obscurité la plus totale. Ses deux oreilles pointées vers le ciel sans doute ne lui font rater aucun son. Son pelage hirsute, noir comme du charbon, est couvert de boue. À chacune de ses pattes, je peux compter 4 griffes tranchantes. Une vraie machine à tuer.
La pénombre revenue, l’animal se remet à déambuler et saccage tout sur son passage. Il déchiquette les oreillers un par un, faisant voler des milliers de plumes, renverse la table qui se brise en mille morceaux, pulvérise un miroir déjà abîmé. Un éclat de verre l’atteint alors. Se redressant brutalement, il cogne l’interrupteur du salon, allumant par inadvertance l’ampoule électrique. La fine lumière semble vouloir s’échapper, grésillant un peu plus à chaque coup de tonnerre. Du sang s’échappe de la plaie, mais la créature semble s’en être déjà remis.
Grace à la lampe vacillante, je peux maintenant observer tous ses faits et gestes, cela m’arrange. Je suis si concentré que je ne me suis pas rendu compte qu’une plume blanche d’un des oreillers s’est faufilée à travers un trou du placard.
Du coin de l’œil, je l’aperçois. « Oh non ! » me dis-je. Mais il est déjà trop tard…
Chapitre 3. L’allergie de Manon
Lentement mais sûrement, comme au ralenti, la plume virevoltant de droite à gauche, approche dangereusement du nez de Manon. Elle qui est allergique à tout, cela risque de déclencher chez elle un éternuement ! « Atchoum ! ». Catastrophe ! Je tourne lentement ma tête vers un des nombreux trous de l’armoire. Le loup garou regarde dans notre direction. Pas de doute, il l’a entendue ! Le canidé fixe notre cachette de ses yeux brillants. Je me retiens de crier.
« On ne peut pas rester ici ! », me dis-je. Je me penche vers Manon et lui chuchote à l’oreille « Princesse, quand j’aurai compté jusqu’à trois, on sort en courant, d’accord ? ». Elle acquiesce. Allez, courage, la bête féroce est prête à bondir !
« 1… 2… 3, c’est parti ! »
Alors que la créature galope vers nous, je prends ma petite sœur par la main, pousse la vieille porte en bois, et nous partons en courant, zigzagant à travers les couloirs. L’animal vient de foncer tête la première dans le placard, nous avions fui juste à temps.
Énervé de nous avoir raté, il émet un hurlement féroce.
Notre maison est grande, même si mes parents l’ont achetée pour une bouchée de pain – on s’est vite rendu compte que les murs laissent passer l’air, c’est sûrement pour cela que les anciens propriétaires voulaient s’en débarrasser –. Mais il n’y a pas beaucoup de cachette, notre foyer n’est pas très meublé.
Nous nous étions réfugiés dans la salle à manger, derrière la commode à moitié défoncée. Dans la panique, nous sommes presque retournés sur nos pas ! Il suffirait que le loup-garou fasse quelques enjambées, et il nous trouverait. Mais, à notre plus grand soulagement, il part dans le sens inverse.
Nous l’entendons bondir dans l’escalier. À chacune de ses foulées, de la poussière tombe du plafond. Cela fait tellement craquer le parquet de l’étage, que, pendant un instant, j’ai cru qu’il allait s’effondrer. Mais non, notre vieille maison est bien plus solide qu’elle en a l’air. C’est sûrement son seul point positif.
Manon se blottit si fort contre moi que je parviens à peine à respirer. Alors, je la serre dans mes bras. Des larmes coulent le long de nos joues. Nous sommes terrifiés, l’un autant que l’autre. Pendant ce temps, le déluge continue dehors.
La créature dévaste tout à l’étage. J’entends nos commodes tomber, nos décorations se briser au contact du sol, nos lits se fracasser par terre… Il est en train de dévaster nos chambres, en vain.
Je ne sais plus quoi faire, car notre cachette va être facilement découverte. Nous sommes obligés de trouver un autre refuge, mais cela risque d’être compliqué.
À moins que… Mais oui ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ! Notre père est un ancien champion de rugby, forcé d’arrêter pour des raisons de santé. Il s’était ensuite engueulé avec le chef de son équipe. Il a alors été viré. Plus personne ne voulait de lui. C’est ce qui l’a forcé à trouver un autre boulot, pour ne pas se retrouver à la rue.
Mais à l’époque de son succès, il avait gagné plein de coupe ! Quand on a acheté cette maison, il avait décidé de réserver tout le sous-sol pour ses trophées et ses médailles, qui faisaient sa fierté. La cachette parfaite !
La bête est encore l’étage, mais plus pour longtemps. Il faut se dépêcher. J’attrape ma sœur par la main, puis nous nous redressons le plus silencieusement possible. Nous longeons les murs du couloir, puis nous arrivons devant le grand tapis brodé de bleu, de rouge, de jaune et de verre. Je le soulève lentement, pour y découvrir la trappe menant au sous-sol. Doucement, je l’ouvre.
Manon s’engouffre la première. Quand tout à coup, l’animal se met à dévaler l’escalier. Je me dépêche alors de descendre à mon tour, puis je referme la trappe. Juste à temps pour que le monstre ne nous voit pas ! Nous restons silencieux, laissant la place au bruit de ses pas frottant la surface de la trappe. Heureusement, elle ne cède pas, malgré le poids du loup-garou. Puis, je regarde autour de moi. Toutes les coupes et les médailles brillent de mille feux. Il y a aussi des photos de mon père jeune et de son ancienne équipe. Il avait l’air tellement heureux ! Maintenant, rares sont les moments où il n’esquisse ne sera-ce qu’un sourire en coin.
Mon père devait être très doué, vu tous les trophées qu’il avait remportés ! je n’étais jamais vraiment rentré dans cette pièce, en réalité. J’aurais préféré la découvrir dans un autre contexte, mais bon… l’endroit est d’un doré éclatant, sur chaque étagère est posée une récompense en or, sur chaque coin de mur des photos y sont punaisées. Sur la plupart des photographies, il sourie et enlace ses coéquipiers malgré le fait qu’ils soient couverts de boue. Voilà une partie du passé de mon père dont il ne nous avait jamais véritablement parlé.
Perdu dans mes pensées, je sens quelque chose me chatouiller les pieds. Je n’y prête pas tout de suite attention, jusqu’au moment où cela devient insistant. Mes pieds trempent dans de l’eau. Je baisse la tête pour voir ce qui ne va pas. Avec effroi, je comprends alors que le sous-sol est en train de s’inonder. Grâce aux reflets des trophées, je peux trouver d’où vient le problème. À cause de la force des intempéries, une fissure s’est formée dans le mur creux, laissant pénétrer l’eau dans ce qui représentait notre dernière chance de survie.
Plein d’idées défilent dans ma tête. Que faire ?
D’abord, je décroche une photo d’un des murs ou mon père sourit, avec un sourire jusqu’aux oreilles et où il était particulièrement sale. Au-dessus de sa tête, un score indique 9 à 3.
Puis j’essaye de boucher la fuite avec. Mais rien n’y fait. Ensuite je tente de bloquer l’arrivée d’eau en plaquant dessus le socle d’une des nombreuses coupes sur laquelle est gravé « Meilleur plaqueur de l’année ». Cela ne fonctionne toujours pas. Impossible de la condamner.
À présent, je ne pense plus qu’à une chose. Sortir d’ici avant de mourir noyé. Quitte à tuer la créature qui rode dans notre maison.
J’ai une stratégie. Attendre que le loup-garou fasse du bruit à l’opposé de là où nous nous trouvons, pour sortir le plus doucement et rapidement possible. Je ne sais pas comment je vais m’y prendre, mais il ne nous reste plus que cette solution. De longues minutes passent lentement, puis, bingo ! L’animal fait retentir son tintamarre.
Il était temps, car l’eau glacée m’arrive jusqu’aux genoux, ce qui est peu rassurant. Je rouvre la trappe le plus discrètement possible, puis, je nous fais sortir tous les deux. Manon est trempée jusqu’à la taille, elle grelotte.
D’après le bruit que fait la bête, elle se trouve dans la cuisine. Je referme alors la trappe, en espérant ne pas attirer l’attention du monstre.
À chacun de mes pas, je manque de peu de glisser et m’écraser sur le sol. Mes pieds sont tout mouillés et je dois faire des gesticulations impressionnantes pour ne pas tomber. C’est seulement en marchant sur le tapis multicolore que j’avais déplacé un peu plus loin, que l’eau restée sur la plante de mes pieds disparaît. En même temps, je réfléchis. Je dois tuer cette chose.
L’animal denté s’est déplacé et est à présent dans le salon. Je jette des regards furtifs. Il ne doit pas se douter pas de ma présence. Je marche sur la pointe des pieds, puis je le vois pour la deuxième fois. Il me tourne le dos, alors je me précipite silencieusement dans la cuisine. Là, c’est le chaos. Toutes les étagères sont retournées, leur contenu sauvagement réduit en miettes, comestible ou non. Le robinet est par terre, abandonnant derrière lui le tuyau d’évacuation d’où s’écoule l’eau sensée repartir.
Chaque centimètre carré est pulvérisé. Avant, sur l’un des murs recouverts de carrelage, on pouvait observer des tableaux de personnes souriantes que je connaissais absolument pas. Ces portraits ont été sauvagement décrochés. Les clous terminent en lambeaux. Sur certains débris, je peux encore apercevoir un sourire, un nez, ou bien un œil.
La cuisine qui se présente devant moi n’a plus rien de celle que je connaissais. Elle m’apparaît triste, comme tabassée. Je suis choqué, mais je dois continuer, je dois tuer ce loup-garou.
Je soulève les gravats, à la recherche de quelque chose de tranchant. Je pousse des bouts de vieux carrelage cassé, quand je tombe sur une lame. Elle avait sûrement dû appartenir à un couteau, mais elle a perdu son manche. De toute façon, cela n’a plus d’importance.
Je la ramasse avec précaution, l’essuie avec un torchon sale, puis l’enroule avec à sa base pour pouvoir la tenir. Je suis prêt.
Chapitre 4. Le combat
Depuis ma cachette, Je m’avance en direction du loup-garou, la démarche mal assurée. Je sers mon arme, sentant la fraîcheur de sa lame dans le creux de ma main.J’ai dit à Manon de rester cachée.Mon cœur bat dans ma poitrine, de plus en plus vite, de plus en plus fort. Je le vois. Il est encore dos à moi, son pelage charbon est tout ébouriffé. La boue collée dessus, molle quelque temps auparavant, avait séché, formant des sortes de crêtes.Je tremble de tout mon long. Je n’ai plus qu’à l’attaquer.Je m’espère bondissant sur le monstre et ressortissant vainqueur d’un difficile combat. Mais je m’imagine aussi les pires scénarios. Dans la plupart, je meurs, je vois mon corps sans vie, allongé par terre. C’est une pensée glaçante. Alors, prenant la décision la plus importante de ma vie, je m’élance vers la bête. J’ai l’impression que je n’ai plus aucun pouvoir sur mon corps, qu’il se déplace tout seul.Ses oreilles font un mouvement vers l’arrière. Je sais qu’il m’a entendu. Il tourne brusquement son museau vers moi. J’y découvre deux énormes yeux jaunes luisants. Ses crocs sont couverts de différents morceaux de couleurs, qu’il a dû attraper en broyant tout ce qu’il trouvait. Il me fait comme une sorte de rictus déformé, montrant toutes ses rangées de dents acérées. Puis, après un long moment de suspens, il me saute dessus.Tout me semble comme au ralenti. Je vois le monstre me bondir dessus. Mon bras qui tient la lame se lève tout seul.
Alors que la bête me tombe dessus, ma lame transperce son ventre velu. Il me semble pris de douleurs, mais, à mon plus grand malheur, il se relève rapidement.
Cela lui fait exactement le même effet qu’avec l’éclat de verre du miroir qu’il s’était pris dans l’estomac il y a quelques instants. C’est-à-dire rien. Tous mes espoirs s’effondrent en un claquement de doigts. Il n’y a plus qu’une solution, courir pour ma vie.
Je me relève le plus rapidement possible. Je ne peux pas avancer, car l’animal me barre la route. La bête à mes trousses, je cours en rond en sautant par-dessus les débris.
À plusieurs reprises, je manque de trébucher. J’entends les grosses pattes du loup-garou derrière moi. J’espère qu’il ne me rattrapera pas, pourtant, je sens qu’il se rapproche de plus en plus. Soudainement, une douleur me transperce le pied. Je me le suis coincé entre deux bouts de carrelage ! Dans ma chute, je tente de rattraper l’air autour de moi, en vain. Je tombe brutalement sur le sol irrégulier.
Mon pied me fait terriblement mal. Mais j’y fais à peine attention, car l’animal se tiendra bientôt à ma hauteur. J’essaie de me hisser le plus loin possible de lui, en vain. Rapidement, je sens sa répugnante odeur au-dessus de moi. J’attrape des débris de carrelage, de tableau, tout ce qui traîne à portée de main, pour les lui lancer dessus. Cela ne fait rien d’autre que l’énerver encore plus qu’il ne l’est déjà.
Je cherche quelque chose qui m’aidera à me défendre. Il m’est presque impossible de faire un mouvement sans que tout mon corps tremble. Je suis terrifié, terrifié de l’énorme bête, terrifié pour ma petite sœur, et terrifié par la mort.
Je vois défiler devant mes yeux ma courte vie de treize ans. Je repense aux bons moments, comme aux pires. Ça y est, c’est la fin.
Cette nuit-là, je vais mourir. Je suis prêt à accepter mon sort, quand soudain, une lueur d’espoir se tient dans ma main. Par réflexe, j’ai ramassé un gros couteau trouvé en enfouissant ma main très profonde dans les débris, sans même m’en apercevoir.
Je reconnais ce couteau, son manche, intact, entouré de différents motifs. Il me rappelle le couteau que ma mère utilise uniquement pour les grandes occasions. Elle disait… elle disait que c’était un cadeau de ma grand-mère, en argent pur… Mais, bien sûr ! J’ai déjà lu ça quelque part, la seule chose qui puisse tuer un loup-garou est l’argent, l’argent pur !
Alors, dans un dernier effort, je pointe le couteau vers le canidé pour lui planter à l’endroit même ou devrait se trouver son cœur. Je m’attends à ce qu’il se relève malgré tout, comme toutes les autres fois. Mais cette fois-ci, il émet un long gémissement douloureux, puis s’effondre sur lui-même. Vaincu.
Je n’en crois pas mes yeux. Il est allongé, et de l’endroit ou j’ai planté mon arme, s’écoule un sang bleu.
Je reste longtemps, assis là, à observer la carcasse de l’animal. En même temps, j’écoute le bruit de la pluie qui semble s’atténuer, peu à peu.
En rassemblant toutes mes forces, je me relève, tremblant de tous mes membres, pour me diriger à l’endroit ou j’ai caché ma sœur. Je jette un dernier regard derrière moi. Je vois le loup-garou se ratatiner. Ses griffes se rétractent, son museau se rétrécit, ses denses poils tombent les un après les autres, ses oreilles et ses yeux se rapetissent. Pour laisser place à un homme. Sur son torse, à l’endroit de son cœur, une plaie béante s’y trouve. Mais, quelque chose ne va pas. Cet homme, je le reconnais ! Non c’est impossible, je dois me tromper… Papa ? C’est toi, papa ? Réponds-moi papa !
Face à son corps sans vie, mes yeux s’écarquillent d’horreur. Ma bouche s’ouvre pour pousser un cri, qui finalement ne sort pas. Je ne peux pas le croire ! Mon père avait essayé de nous tuer ?
J’éclate en sanglots. Ma sœur, qui m’entends, s’approche de moi.
« Non, Manon, ne regarde pas ! », je lui cache les yeux avec ma main. Elle n’essaye même pas de la retirer. Elle a compris.
Des pensées se bousculent dans ma tête. Si mon père est un loup-garou, Manon et moi le sommes sûrement ! Après une rapide enquête, les villageois ne tarderont pas à faire le lien. Que devons-nous faire ?
Je saisis ma sœur par les épaules, l’obligeant à se retourner. Je la pousse à l’étage jusque dans nos chambres.
« Fais un sac Manon s’il te plaît. Mets dedans ce qui te reste de vêtements et tes affaires préférées. Nous partons.
— Pourquoi ?
— Parce que… Aller, dépêche-toi, vite ! ».
Je réussis à me dégotter quelques habits déchirés. Une fois le sac de ma sœur vérifié – elle n’avait mis que son doudou – nos sacs sont prêts. Mis sur nos épaules, nous redescendons l’escalier pour faire face à la grande porte d’entrée tombée un peu plus tôt.
Dehors, l’averse s’est calmée et une pluie fine a pris la relève. Le temps semble encore orageux.
« Devons-nous vraiment faire ça ? », pensai-je. Puis, traînant ma sœur derrière moi, nous traversons le porche. La réponse est « Oui, nous n’avons pas le choix de toute façon ».
Des gouttes tombent sur mon visage. Je prends une grande inspiration, l’air me fait du bien. Nous allons partir pour une grande marche, sûrement longue. Sans savoir ou nous allons. Peu m’importe, j’y réfléchirai en chemin. J’ai l’impression de ne plus rien ressentir. Je n’ai plus froid, plus faim, plus peur, plus mal.
Nous arpentons les ruelles vides environnant notre ancienne maison. Le ciel commence à se dégager. Le doux soleil se montre. Des lumières s’allument un peu partout autour de nous. Le petit village s’éveille.
Nous passons à côté de la fontaine en marbre, ruisselante de la pluie passée. Ma sœur y jette un regard et nous continuons tout droit. Puis, le panneau « Vous quittez Transisbourg, à bientôt ! », arrive. Nous le dépassons. Ça y est, nous sommes sortis du village. Nous suivons la route bitumée encadrée par deux rangées d’arbres et un fossé.
Nous n’en voyons pas la fin, mais cela ne nous arrête pas pour autant.
À présent, le soleil est haut dans le ciel. Il nous illumine de ses beaux rayons. Peu à peu, la chaleur revient, comme une bonne journée d’été.
Mes jambes commencent à me faire mal, mais nous ne pouvons pas nous arrêter. Manon tire de plus en plus sur ma main, elle est fatiguée. Mais je ne prends pas en compte ses avertissements. Au contraire, j’accélère la cadence. Ma sœur n’arrive alors plus à me suivre. Je la mets sur mes épaules, à son plus grand soulagement. Les heures passent quant au loin apparaît un village. Ce sera notre première étape.
La route est encore longue vers ce que j’espère sera notre tanière, la maison de nos grands-parents.
C’est étrange comment en marchant je vois les choses différemment. À présent, je m’inquiète beaucoup moins de savoir comment nous allons nous nourrir jusque-là.
FIN